L’amour n’a pas d’âge en maison de retraite
A t-on le droit à une vie sentimentale après 70 ans en maison de retraite ?* La réponse est oui pour l’ensemble des personnes concernées: résidents, résidentes, personnel soignant et encadrant. Les seules réticences proviennent parfois des familles. Pour autant, de plus en plus sensibilisées aux besoins d’intimité des personnes âgées hébergées en établissement, les équipes médicales et d’encadrement sont désormais formées à cette question sensible, et en débattent plus librement avec les proches. Dans un esprit de total respect.
Le besoin d’aimer ne s’arrête pas en franchissant les portes de la maison de retraite, ni de l’EHPAD. Il survient parfois même à ce moment là.
Se sentir chez soi en établissement signifie aussi pouvoir donner libre cours à cet amour, sans risquer de choquer, dans l’intimité de son espace privé, et bien évidemment dans un consentement mutuel.
« Refaire sa vie? Non, se serait trahir… » confie un veuf octogénaire au micro de France-Inter, dans le cadre de l’émission Interception du 30 Août dernier, intitulée « les derniers feux de l’amour »*.
Généralement, les résidents sont très sensibles aux manifestations de tendresse, à des câlins affectueux volontiers échangés. Certains souhaitent en rester là, d’autres voudraient s’engager officiellement mais se heurtent aux réticences voire aux refus catégoriques de leurs propres enfants. Comme s’il fallait demander la permission, arrivé à plus de 80 ans, à ceux et à celles que l’on a mis au monde…
En arrêtant d’infantiliser les personnes âgées, on commencera alors à les respecter réellement.
Au sein de l’EHPAD Jacques Brel, situé dans le Finistère, la question du droit à l’intimité des personnes âgées ne fait aucun doute. L’établissement a été primé par la Fondation de France, pour sa démarche évolutive en ce sens. Ainsi, à l’occasion d’un atelier de réflexion intitulé « remue-méninges », les résidents ont pu exprimer librement leurs aspirations personnelles à ce sujet:
« Je voudrais ne pas perdre le temps qu’il me reste. Faire des promenades, échanger des moments de tendresse« confie une résidente. Pour envisager des relations intimes? « Il faut qu’il y est de l’amour, de la gentillesse. » La dame a bien reçu quelques propositions, mais elles semblaient dénuées de ce minimum requis…
« Le désir ne s’arrête pas avec l’âge »
Une autre parle de sa relation amicale avec un pensionnaire de la résidence. « Cela fait cinq ans que ça dure. On se retrouve le soir pour prendre un thé, on joue aux cartes.« Ce qui fait parfois jaser, et suscite d’éventuelles « jalousies de la part d’autres résidentes… » Les femmes sont tellement plus nombreuses en maison de retraite que les hommes.
Une réalité qui confère à un autre résident de 85 ans le rôle de véritable séducteur: « Je suis très entouré » avoue t-il en riant.
Néanmoins, lorsque les deux tourtereaux ont voulu officialiser leur relation amicale au bout de cinq années en conviant leurs familles respectives à un petit goûter, elles ont tour à tour refusé. Quel dommage, a t-on envie de crier…
Pour le personnel de cet EHPAD, ces besoins affectifs sont plus que légitimes. Formés à cette optique, ils rappellent que « les personnes âgées ne sont pas asexuées. Lorsque l’on s’adresse aux pensionnaires et qu’on leur dit clairement « vous êtes ici chez vous » cela signifie aussi qu’ils peuvent avoir des relations intimes. «
Ainsi l’équipe met t-elle un point d’honneur à respecter les consignes, comme celle de frapper avant d’entrer dans une chambre, et d’attendre la réponse. Elle peut également être amenée à en discuter avec les proches pour mieux les sensibiliser. Elle veille également à prévenir toute relation qui ne serait pas librement consentie, comme dans le cas de personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. « Il y a bien évidemment un devoir de protection de la part du personnel soignant ».
Un devoir de protection, fort heureusement, mais également de non ingérence, de respect total de la vie privée et de l’intimité de personnes âgées vivant au sein d’un établissement, devenu leur maison et pourquoi pas leur nid d’amour…
Isabelle Azriel
*Pour écouter l’émission de France Inter: « Les derniers feux de l’amour » consacrée à la question du droit aux relations intimes en maison de retraite